Israël
et la nouvelle carte du monde – Emmanuel Navon
Article mis à jour
le 30-01-2012
Au début du processus
d’Oslo, il y a de cela 18 ans, Shimon Pérès publia
un livre intitulé « Le Nouveau Proche Orient. »
Le but de ce livre était de justifier l’accord signé
avec l’OLP, et d’offrir une vision du Proche-Orient
que ces accords étaient censés engendrer : une zone
de paix, de progrès, et de croissance économique.
Une région dans laquelle la guerre et le terrorisme
seront remplacés par la coopération et le progrès
scientifique. J’ai récemment suggéré à la bibliothèque
de l’Université de Tel-Aviv de retirer ce livre
de la section « relations internationales » et de
le transférer à la section « science fiction. »
Mais je dois reconnaître à Shimon Pérès que le titre
de son livre était bien choisi et prémonitoire :
dix-huit années après la signature des Accords d’Oslo,
une nouveau Proche-Orient a effectivement émergé.
Un Proche-Orient qui
est au bord d’une conflagration militaire entre
l’Iran, Israël et les États-Unis. Un Proche-Orient
où le Shiisme iranien a la mainmise sur l’Irak,
sur la Syrie et sur le Liban.
Un Proche-Orient dans
lequel deux anciens alliés stratégiques des États-Unis,
l’Égypte et la Turquie, sont devenus des républiques
islamiques pro-iraniennes. Un Proche-Orient dans
lequel la plus haute autorité religieuse de l’Autorité
palestinienne, le Mufti Muhammad Hussein, déclarait
il y a deux semaines dans une cérémonie publique
que tuer les Juifs est le devoir de tout Musulman.
Ce nouveau Proche-Orient
est en réalité en gestation de depuis trois décennies,
et plus exactement depuis 1979.
C’est en effet en
1979 qu’ont eu lieu presque simultanément trois
événements majeurs qui ont bouleversé le Proche-Orient
: la révolution iranienne, l’Accord de paix entre
Israël et l’Égypte, et l’invasion de l’Afghanistan
par l’Union soviétique.
Ces trois événements
se sont certes produits indépendamment les uns des
autres, mais ils ont tous trois déclenché des forces
dont nous ressentons les effets aujourd’hui.
La révolution iranienne
ne fut pas seulement une révolution contre un régime
autoritaire pro-occidental. Elle fut aussi, et surtout,
une révolte de l’Islam contre la suprématie de l’Occident
–une suprématie qui commença à s’affirmer au 16e
siècle et qui culmina avec le colonialisme européen
en Afrique du Nord et au Proche-Orient.
Le régime khomeyniste
se présenta comme une alternative à l’occidentalisation
et comme un point de ralliement du monde musulman
contre un Occident accusé de l’asservissement et
de la décadence de l’Islam.
Depuis trois décennies,
l’Iran bâtit un arsenal militaire et un réseau d’alliances
au Proche-Orient. Cette stratégie a partiellement
réussi et sera couronnée de succès si les États-Unis
n’affrontent pas l’Iran comme ils affrontèrent l’Union
soviétique.
Le deuxième événement
fut l’invasion de l’Afghanistan par l’Union soviétique.
Cette invasion cristallisa le fondamentalisme musulman
contre le communisme athée. Et cette cristallisation
de l’Islam radical fut encouragée par les États-Unis
qui virent dans les Moudjahidin un allié irremplaçable
contre l’Union soviétique.
Mais si la révolte
des Moudjahidin avait pour cible l’occupant russe,
c’est l’Occident au sens large qu’elle considérait
comme ennemi. Cette haine de l’Occident en général
et des États-Unis en particulier fut tragiquement
confirmée par les attentats du 11 septembre.
Le troisième événement
fut l’Accord de Camp David entre Israël et l’Égypte.
Qualifié d’accord de paix, il s’agissait en réalité
d’un accord économique et politique entre les États-Unis
et l’Égypte. Sadat finit par comprendre qu’il n’avait
pas d’option militaire contre Israël et donc que
l’alliance avec l’Union soviétique avait perdu sa
raison d’être.
L’absence d’une option
militaire signifiait que seule l’alliée d’Israël,
les États-Unis, était capable de livrer le Sinaï
à l’Égypte moyennant un changement d’allégeance.
Tel fut le deal entre
l’Égypte et les États-Unis : en échange de l’abandon
de son alliance avec l’Union soviétique, l’Égypte
récupérerait le Sinaï et recevrait des États-Unis
une aide financière qui lui était indispensable.
L’Égypte n’étant pas
une démocratie, la décision personnelle de Sadat
ne reçut pas le soutien populaire nécessaire à un
véritable accord de paix. Et l’Égypte développa
une relation de dépendance, voire même de servilité,
vis-à-vis des États-Unis au moment même où l’Iran
humilia les États-Unis en pillant l’ambassade américaine
à Téhéran.
Pendant trois décennies,
Moubarak fut subventionné par les États-Unis pour
maintenir l’Égypte dans le camp occidental puis,
après l’effondrement de l’Union soviétique, pour
écarter les Frères musulmans du pouvoir.
Mais l’aide américaine
ne profita pas au peuple égyptien. Elle fut utilisée
pour équiper l’armée égyptienne et pour financer
le système clientéliste du régime de Moubarak. En
attendant, la révolte des Frères musulmans ne faisait
que couver et elle était encouragée par un Iran
violemment anti-américain et anti-israélien.
La Pax Americana au
Proche-Orient est en train de s’effondrer. L’armée
américaine s’est retirée d’un Irak gouverné par
les Shiites et téléguidé par l’Iran. Les États-Unis
n’ont pas réussi à éliminer le pouvoir des Talibans
en Afghanistan et à stopper le programme nucléaire
iranien. Et ils ont perdu deux de leurs principaux
alliés au Proche-Orient : l’Égypte et la Turquie.
Enfin, le gouvernement américain a récemment été
contraint de réduire son budget militaire de façon
drastique.
Face à l’affaiblissement
relatif des États-Unis au Proche-Orient, l’Iran
peut compter sur deux alliés de taille : la Russie
et la Chine. La Russie de Putin a ravivé la stratégie
soviétique du soutien automatique des ennemis régionaux
des États-Unis.
Quant à la Chine,
elle continuera de s’opposer aux sanctions contre
Téhéran à cause de sa dépendance pétrolière vis-à-vis
de l’Iran. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle
les États-Unis et l’Union européenne ont dû faire
cavalier seul sur la question de l’embargo pétrolier.
Face à ce nouveau
Proche-Orient, quelle doit être la stratégie des
États-Unis et d’Israël ?
D’abord de ne pas
répéter les erreurs du passé. Tant l’invasion de
l’Afghanistan par l’Union soviétique, que la révolution
islamique en Iran et l’alliance américano-égyptienne
furent le résultat d’un aveuglement idéologique.
La politique d’apaisement
de Carter vis-à-vis de l’Union soviétique eut pour
effet d’encourager les Soviétiques dans leur politique
d’agression.
L’abandon par Carter
du Shah d’Iran pour cause de violation des droits
de l’homme eut pour effet d’installer un régime
non seulement plus répressif que son prédécesseur
mais également anti-américain.
La tentative d’acheter
l’Égypte pour contrer les communistes puis les islamistes
finit par s’effondrer sous le poids de la répression
politique, de la pauvreté, et de l’attrait idéologique
des Frères musulmans.
Il faut donc que les
États-Unis remplacent l’apaisement par la dissuasion.
Comme l’a dit Churchill, apaiser l’ennemi c’est
nourrir le crocodile en espérant qu’on sera dévoré
en dernier. La politique d’ouverture de l’Administration
Obama vis-à-vis de l’Iran et de la Russie a été
un échec cuisant dont il est temps de tirer les
leçons.
Israël, quant à elle,
doit tirer la leçon des concessions territoriales
et des retraits unilatéraux. Dans un Proche-Orient
islamiste, la théorie des « territoires contre la
paix » est plus futile que jamais.
L’annulation probable
de l’accord de paix avec Israël par l’Égypte islamiste
prouve que la paix est réversible tandis que les
retraits territoriaux ne le sont pas.
Mais, surtout, le
combat des islamistes contre Israël est idéologique
et religieux. Il a trait à l’existence même d’Israël
et non à ses frontières. Et donc un retour d’Israël
à ses anciennes frontières ne mettra pas fin aux
revendications et aux combat des Islamistes, au
contraire.
Ne pas répéter les
erreurs du passé, cependant, ne suffit pas. Il faut
une vision et une stratégie face à un Proche-Orient
qui s’islamise et face à un Iran qui continue de
diviser la communauté internationale grâce à ses
ressources pétrolières.
La Chine ne peut pas
se passer du pétrole iranien parce qu’elle consomme
près de 10 millions de barils de pétrole par jour.
En 2003, la Chine est devenue le deuxième importateur
de pétrole au monde après les États-Unis, et elle
deviendra le plus gros importateur mondial d’ici
2025.
Mais c’est l’économie
mondiale, et pas seulement la Chine, qui dépend
du pétrole. L’Europe a attendu la semaine dernière
pour imposer un embargo pétrolier à l’Iran, alors
même que le programme nucléaire iranien est connu
depuis de nombreuses années.
Cette dépendance pétrolière
aux conséquences géopolitiques désastreuses est
due au monopole du pétrole dans les moyens de transports
terrestres, maritimes et aériens. L’Occident doit
briser ce monopole pour mettre fin à sa dépendance
pétrolière.
C’est un objectif
réalisable, et tant les États-Unis qu’Israël en
ont fait leur priorité.
Le monopole du pétrole
dans les transports sera brisé à terme par les moteurs
électriques et par les biocarburants. Israël est
déjà à la pointe de la technologie dans ces deux
domaines, et Israël doit mener le combat du monde
libre pour mettre fin à la dépendance pétrolière.
Un Proche-Orient qui
aura perdu l’arme du pétrole est un Proche-Orient
qui ne tiendra plus les grandes puissances en otage.
Mais même dans l’ère
post-pétrolière, le Proche-Orient continuera d’être
armé d’une idéologie que ne cesse de se renforcer
ces dernières années : celle de l’Islamisme. Cette
idéologie est conquérante et menaçante, et elle
ne fait que se renforcer face aux concessions et
aux retraits d’Israël.
Au lieu de nourrir
le crocodile, il faut parler son langage. Puisque
les Islamistes justifient leur combat par les Écritures
saintes, qu’à cela ne tienne : le peuple juif ne
peut que gagner sur ce terrain. Tant la Bible que
le Coran sont des plus explicites sur le fait que
la terre d’Israël a été donnée au peuple juif. Jérusalem
est mentionnée à 656 reprises dans la Bible et pas
une fois dans le Coran.
Le même Coran confirme
que les Juifs reviendront sur la terre qui est la
leur.
C’est ainsi, par exemple,
que le Coran dit dans le verset 104 de la 17e Sourate
: « Nous avons dit aux enfants d’Israël : Habitez
cette terre. Quand l’autre promesse se réalisera,
nous vous ferons revenir en masse. »
Plus Israël se détache
de son passé et de ses racines, plus les Arabes
nous considèrent comme de étrangers et des envahisseurs,
et plus ils nous combattent. Et lorsque Israël se
rattachera à son passé et à son histoire et dira
avec fierté aux Arabes et au monde que le peuple
juif n’a fait que revenir chez lui conformément
aux Écritures, alors nous serons acceptés et reconnus
par nos voisins.
Le monde ne nous respectera
que lorsque nous nous respecterons nous-mêmes, et
le Proche-Orient arabo-musulman ne nous reconnaîtra
que lorsque nous serons fidèles à la foi qui est
la notre et que les Musulmans respectent.
La nouvelle carte
du monde peut paraître menaçante, mais elle est
en réalité porteuse d’un éventuel dénouement, qui
dépendra en grande partie des choix d’Israël.
Par Emmanuel Navon
– Professeur de Relations Internationales à l’Université
de Tel – Aviv – JSSNews